
Suez se renforce dans le traitement des ordures ménagères à Toulouse
Avec les deux unités de valorisation énergétique et de traitement des déchets de Toulouse, Suez vient de remporter son plus gros contrat. Après plusieurs années compliquées, l’occasion pour le groupe présidé par Thierry Déau de déployer son savoir-faire technique et technologique pour accompagner la transition écologique du traitement des ordures ménagères.
Un chantier de taille
« Méga marché » selon La Dépêche, « contrat XXL » pour Bâtiment Entretien, « contrat historique » d’après Energy News… La presse grand public comme spécialisée s’accorde sur la mesure et l’enjeu de la nouvelle responsabilité confiée à Suez – et à la Banque des Territoires – par le syndicat mixte Decoset : un contrat de concession sur vingt ans remporté fin 2024 pour l'incinération et la valorisation, c’est-à-dire une production énergétique thermique et électrique à partir des déchets de la ville de Toulouse. D’un montant d’1,4 milliard d’euros, il s’agit du « plus gros contrat » de l’histoire de Suez en termes de chiffre d’affaires. Suez et la Banque sont désormais en charge des deux unités de valorisation énergétique des déchets (UVE) de Toulouse et de Bessières et de leur modernisation. Comme le précise Thierry Déau, président de Suez, « ce projet pionnier [vise à] accompagner les territoires dans leur transition écologique ».
Car pendant plusieurs années, l’incinérateur de Toulouse fut qualifié de plus polluant de France, « de très loin ». En juillet 2022, l’ONG ZeroWaste a mesuré qu’il « émettait le plus d’oxydes d’azote en moyennes journalières en 2020, avec 188 mg/Nm3 contre 73 mg/Nm3 pour celui de Nice, deuxième de ce classement ». Cette préoccupation sur l’incinération des déchets se trouve aussi inscrite dans les diverses publications de Suez. Son dossier de presse rapporte un souci de limiter l’empreinte carbone des activités et de favoriser l’économie circulaire. Bien avant de prendre les rênes de Suez, Thierry Déau avait déjà fait part de ses ambitions pour Toulouse, en tant que PDG du fonds d’investissement à impact Meridiam. Dès 2011, en organisant les rencontres « Rénovation urbaine et investissements de long terme », il cherchait « à rassembler des investisseurs institutionnels pour prêter à des projets d'intérêt général » pour la Ville rose.
Ce nouveau contrat n’est en outre pas un galop d’essai mais un nouveau jalon pour Suez. À date, le Groupe assoit déjà son expertise au travers de 45 sites d’incinération, de Vernéa à Clermont-Ferrand au projet Féniix dans les Vosges dans lequel Suez a investi 66 millions d’euros. Le Groupe exploite par ailleurs un tiers (31) des UVE françaises, et transforme chaque année 3 500 tonnes de déchets incinérés en énergies renouvelables. En outre, comme il est précisé dans son dernier rapport de durabilité, Suez se montre proactive sur les enjeux de l’incinération des déchets, en particulier ceux qui, non recyclables, représentent un défi notable en termes de décarbonation. Pour y répondre, le Groupe s’est engagé à investir 40 millions d’euros à horizon 2027 dans les innovations de capture et stockage du carbone, et obtient des résultats positifs dans cette voie avec ses projets pilotes britanniques. Ceci, en parallèle de son savoir-faire technique qui sera appliqué à son nouveau contrat toulousain. Ayant tourné la page Sabrina Soussan, éphémère PDG controversée du groupe de 2022 à 2024, Suez renoue avec les projets emblématiques.
Produire de l’énergie tout en préservant l’environnement
La construction d’une nouvelle usine à Toulouse vise à convertir les déchets résiduels incinérés en énergie pour un million d’habitants. Suez compte réduire les émissions annuelles de CO2 d’environ 123 500 tonnes. Côté performances énergétiques projetées, les deux usines produiront un total de 220 GWh d’électricité (+50%) et 360 GWh de chaleur (+20%), pour couvrir 80% « des besoins du réseau de chaleur urbain » tout en contribuant aux Objectifs de développement durable sur la décarbonation. Cette production optimisée passera également par d’autres technologies : deux lignes four chaudière de 15 tonnes par heure de déchets afin de produire plus d’énergie avec moins de déchets, 8 000 heures par an par ligne pour produire l’énergie en continu, 57 mégawatts thermiques pour le chauffage urbain, deux groupes de turbo-alternateurs pour transformer la chaleur en électricité, un « traitement des fumées dernière génération » pour minimiser les émissions, et un meilleur rendement thermique au moyen d’une recirculation partielle de fumées propres.
À Toulouse comme ailleurs, les unités de valorisation énergétiques de Suez permettent au Groupe de fournir aux collectivités ainsi qu’aux industries locales des énergies renouvelables obtenues à partir de l’incinération. Le site spécialisé Connaissance des énergies rappelle qu’environ 70% de nos déchets sont des combustibles. L’énergie « calorifique » dégagée par la combustion alimente de ce fait des réseaux de chaleur à raison d’environ 1 500 kWh par tonne d’ordure, ou être convertie en électricité par turbinage de la vapeur d’eau. Quant au gaz provenant des incinérateurs, il « fournit 45% de l'énergie alimentant les réseaux de chaleur urbains en France ». De son côté, Suez rapporte convertir en énergie chaque année de quoi alimenter en biogaz 400 000 foyers européens. Dans plusieurs des autres UVE qu’elle gère, Suez s’appuie par exemple sur son innovation dédiée WasteAdvanced, qui fournit une analyse prédictive et une vision holistique pour « anticiper les anomalies et réduire les aléas ». L’UVE devient ainsi plus performante et offre de meilleures garanties de durabilité.
Cette préoccupation s’inscrit entre autres dans le souhait de s’aligner sur les normes et réglementations existantes mais aussi d’ouvrir la voie sur celles à venir. Dans sa déclaration de performance extra-financière de 2023, Suez anticipe sur la potentielle intégration des UVE des déchets non dangereux dans le système européen d’échange de quotas d’émissions (SEQE, en anglais ETS) à horizon 2028, et souligne la double opportunité que cela constitue. D’abord, amplifier le recyclage en amont pour limiter le contenu fossile des déchets et les émissions liées. Ensuite, développer des projets pour transformer les déchets résiduels en nouvelles ressources, avec notamment des usines de déchets-à-X (Waste-to-X), c’est-à-dire une transformation des déchets en autre chose : énergie, produits chimiques, carburants… dans l’objectif de réduire leur volume et l’impact environnemental. Concernant Toulouse, le Groupe prévoit d’optimiser la performance de sa gestion des incinérateurs au moyen de systèmes de contrôle intelligents (smart) adaptés.
Exploitation d’outils d’IA et numériques de pointe
À cette fin donc, Suez s’appuiera sur trois « solutions digitales de pointe », dont deux sont issues de ses innovations. Le Groupe se présente d’ailleurs comme le « leader mondial des solutions digitales appliquées à l’environnement », avec des outils d’intelligence artificielle dédiés à la performance, à la gestion de l’eau et à la gestion des déchets, comme ici pour les UVE. La première solution employée, QualiWaste, combine l’intelligence artificielle et la vision assistée par ordinateur pour améliorer le tri des déchets en repérant ceux qui sont indésirables et recyclables, donc mal triés. L’enjeu environnemental est notable, comme le rapporte une étude du Waste Management Bulletin de juin 2024 sur la gestion intelligente des déchets grâce à l’IA : cette dernière, par l’optimisation des paramètres de traitement, stimule le recyclage. En mai 2023, l’Environmental Chemistry Letters allait encore plus loin sur cette nécessité : « L'intelligence artificielle permet d'identifier et de trier les déchets avec une précision allant de 72,8 à 99,95%. »
Après l’outil d’analyse vient celui pour centraliser, ValoVisio. Suez le présente comme le « premier centre de pilotage intelligent pour la gestion et la valorisation des déchets », et l’utilise à ce jour dans 19 départements et auprès de 7 000 clients. Il garantit une traçabilité des flux et une réactivité accrue en fournissant des données récupérées au moyen des outils et des capteurs connectés dont sont dotés les véhicules, les installations et les conteneurs de Suez – un système déjà éprouvé par Suez au travers du système WasteConnect, solution IoT de Sigrenea pour la gestion des déchets. Les UVE ne seront, de ce fait, pas un terrain d’expérimentation mais deux structures supplémentaires d’application de ValoVisio, qui concerne selon Suez 220 véhicules de collecte et à terme 10 000 conteneurs équipés de capteurs communicants.
Le troisième outil utilisé par Suez dont bénéficieront les UVE provient de Qualisteo. Cette start-up niçoise a été qualifiée par Forbes d’entreprise « à suivre » et de « spécialiste de la maîtrise de l’énergie » par L’Usine Nouvelle. Son expertise se centre sur la mesure, le suivi et « la réduction des consommations énergétiques des sites industriels », incluant leurs équipements. Pour ce faire, Qualisteo utilise des algorithmes qui analysent les données. L’innovation technologique de l’entreprise propose notamment son système de mesure intelligente (smart metering) Lynx, qui évalue en temps réel les consommations énergétiques mentionnées. Sa plateforme Wattseeker, quant à elle, fournit entre autres un suivi en temps réel de ces consommations et offre la possibilité d’installer des indicateurs de performance énergétique.
En résumé, la combinaison d’éléments constituée par l’expérience de Suez, son savoir-faire et les avancées en matière de technologie numérique appliquée font des UVE de Toulouse l’un des probables épicentres de demain en matière de verdissement et d’optimisation du traitement des déchets. Sur le plan aussi bien énergétique qu’environnemental, ce projet s’inscrit dans la transition durable d’une activité d’incinération dont, comme Suez en a conscience, « la perception publique […] reste majoritairement négative ».

