« Entre août et novembre, nous avons reçu des allégations crédibles faisant état de plus de 100 meurtres d’anciens membres des forces de sécurité nationales afghanes et d’autres personnes associées à l’ancien gouvernement, dont 72 au moins ont été attribués aux talibans », a déclaré la Haut-Commissaire adjointe de l’ONU aux droits de l’Homme, Nada Al-Nashif, devant le Conseil des droits de l’Homme. Dans la plupart des cas, « les corps ont été publiquement exposés ». « Cela a bien sûr exacerbé la peur parmi cette catégorie importante de la population », a-t-elle ajouté.
Dans la seule province de Nangharar, au moins 50 personnes suspectées de faire partie de l’Etat islamique-Khorasan (EI-K) ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. « Des méthodes brutales de mise à mort, dont la pendaison, la décapitation et l’exposition publique des cadavres ont été observées », a affirmé la Haut-Commissaire adjointe.
59 détentions illégales ainsi que 8 militants et 2 journalistes afghans tués depuis le mois d’août
Mme al-Nashif s’est dite « très préoccupée » par la menace de l’utilisation d’enfants aussi bien par ces djihadistes que par les talibans. « Les enfants continuent également de représenter la quasi-totalité des civils tués ou blessés par des munitions non explosées », a-t-elle dit. Dans ce discours prononcé devant le Conseil des droits de l’homme, elle a décrit le régime taliban comme étant marqué par des exécutions extrajudiciaires dans tout le pays et des restrictions des droits fondamentaux des femmes et des filles.
Plus largement, si les violences ont reculé depuis l’arrivée des islamistes radicaux, la situation actuelle laisse la population avec peu de protection en termes de droits humains alors que les civils continuent néanmoins d’être victimes et restent en danger. « Les femmes et les filles, en particulier, sont confrontées à une grande incertitude en ce qui concerne les droits à l’éducation, aux moyens de subsistance et à la participation, pour lesquels elles avaient réalisé d’importants progrès au cours des deux dernières décennies », a fait valoir la Cheffe adjointe des droits de l’homme de l’ONU.
Par ailleurs, au moins huit militants et deux journalistes afghans ont été tués depuis le mois d’août. L’ONU a également recensé 59 détentions illégales, passages à tabac et menaces à l’encontre de militants de la société civile, de journalistes et du personnel de la Commission indépendante des droits de l’homme en Afghanistan, attribués aux autorités de facto. Leurs proches ont parfois été menacés. « La sécurité des juges, des procureurs et des avocats afghans –
en particulier des femmes juristes – est particulièrement préoccupante », a-t-elle ajouté.
L’Ambassadeur Nasir Ahmad Andisha dénonce des assassinats ciblés
De son côté, l’Ambassadeur de l’ancien gouvernement afghan et encore en place à Genève, a accusé les talibans de commettre un large éventail d’abus, notamment des assassinats ciblés et des disparitions forcées. « Avec la prise de contrôle militaire de Kaboul par les talibans, non seulement nous assistons à un renversement total de deux décennies de progrès (…), mais le groupe commet également une litanie d’abus en toute impunité qui, dans de nombreux cas, ne sont ni signalés ni documentés », a déclaré l’Ambassadeur Nasir Ahmad Andisha, Représentant permanent de l’Afghanistan auprès de l’ONU à Genève.
Les récits d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, notamment de membres du gouvernement et des forces de sécurité, et de déplacements forcés de minorités ne révèlent qu’un aperçu de leur campagne de peur. Enfin, les minorités ethniques et religieuses ont été discriminées et systématiquement prises pour cible. Des rapports crédibles ont témoigné de purges ethniques et tribales dans plusieurs provinces du pays.
« La communauté internationale doit se ranger du côté du peuple afghan et ne pas permettre aux talibans de le priver de ses droits et libertés fondamentaux, qui sont essentiels à l’instauration d’une paix durable et d’un gouvernement inclusif », a-t-il conclu, invitant les Etats membres à rester « solidaires et ne pas rester silencieux ».
15 millions d’Afghans bénéficient de l’aide alimentaire du PAM en 2021
Cette session du Conseil des droits de l’homme intervient alors que la situation humanitaire demeure très préoccupante dans le pays. Au total, 15 millions d’Afghans ont reçu une aide du Programme alimentaire mondial (PAM), jusqu’à présent en 2021, dont 7 millions rien qu’en novembre – contre 4 millions en septembre dernier. L’agence onusienne veut assister l’année prochaine huit millions de personnes supplémentaires confrontées à la faim sévère.
Le PAM intensifie rapidement ses opérations humanitaires en Afghanistan alors que l’inflation et la dépréciation de la monnaie rendent encore plus difficile de se nourrir. « L’Afghanistan est confronté à une avalanche de famine et de misère comme je n’en ai jamais vu au cours de mes vingt et quelques années au sein du Programme alimentaire mondial », a déclaré Mary-Ellen McGroarty, Représentante du PAM en Afghanistan.
Selon les dernières enquêtes téléphoniques du PAM, 98 % des Afghans ne consomment pas assez de nourriture, ce qui représente une augmentation inquiétante de 17 % depuis août. En raison de la spirale de la crise économique, du conflit et de la sécheresse, la famille moyenne a du mal à s’en sortir. Selon le PAM, neuf ménages sur dix achètent désormais des aliments moins chers, huit sur dix mangent moins et sept sur dix empruntent de la nourriture pour s’en sortir.