Le philosophe et linguiste américain, M. Noam Chomsky a donné jeudi une conférence de presse sur le concept « délicat », selon les mots du président de l’Assemblée générale, de la « responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité ».
Accompagné de Jean Bricmont, philosophe belge de Gareth Evans, politicien australien et membre du Comité exécutif d’International Crisis Group et de Ngugi wa Thiong’o, écrivain kenyan, Noam Chomsky venait de participer avec les trois autres au dialogue interactif informel que l’Assemblée générale a organisé sur le rapport du Secrétaire général relatif aux stratégies, aux normes, aux procédures, aux instruments et aux pratiques de l’ONU pour mettre en oeuvre cette responsabilité, indique un communiqué.
Le concept de responsabilité de protéger est « un changement fondamental » dans la notion de souveraineté nationale, s’est encore aujourd’hui félicité le Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté nationale de l’International Crisis Group qui n’a cessé de défendre ce concept qui a été consacré par les chefs d’État et de gouvernement en 2005, lors du Sommet mondial.
Le Document final du Sommet stipule que « lorsqu’un État n’assure manifestement pas la protection de sa population contre les crimes retenus, la communauté internationale est prête à mener, en temps voulu, une action collective résolue par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte de l’ONU ».
C’est précisément l’;implication du Conseil de sécurité qui a fait naître des doutes dans l’esprit de Noam Chomsky et de Jean Bricmont. Les deux hommes ont argué que dans l’état actuel des rapports de force entre les grandes puissances et les autres pays, il est tout à fait légitime de craindre une « manipulation du concept », qui ne constituerait « rien de nouveau ».
N’oublions pas, a rappelé Noam Chomsky, que le Japon a invoqué la responsabilité de protéger pour envahir la Manchourie et qu’Hitler a fait de même pour la Pologne. Et aujourd’hui, a-t-il dénoncé, cette notion pourrait être légitimement invoquée pour la Somalie ou la République démocratique du Congo (RDC) mais, dans le cas de cette dernière, les intérêts des entreprises multinationales occidentales sont en jeu, a souligné le philosophe.
Il faut être réaliste, a renchéri Jean Bricmont, lorsque l’on voit les multiples violations de la souveraineté des pays sous couvert de protection des populations, comme cela a été le cas en Irak et en Afghanistan alors, qu’Israël peut poursuivre tranquillement ses attaques contre le Territoire palestinien occupé.
L’ONU est faite d’une bonne chose, l’esprit de sa Charte, et d’une mauvaise chose, le droit de veto que les États puissants exercent dès que l’on touche à leur pouvoir, a insisté le philosophe belge, en craignant que l’exercice de la responsabilité de protéger ne serve qu’à couvrir les visées interventionnistes des grandes puissances. Comme toujours à l’ONU, tout finit en dichotomie entre « le papier et le pouvoir », à savoir entre les bonnes intentions et leur matérialisation.
Les États-Unis, chantre de la responsabilité de protéger, ne sont pas parties au Statut de la Cour pénale internationale (CPI). On peut se demander, a dit Noam Chomsky, pourquoi ils défendent avec autant d’acharnement ce concept aujourd’hui.
Gareth Evans, Coprésident de la Commission internationale sur l’intervention et la souveraineté nationale d’International Crisis Group, a admis que l’élargissement de la composition du Conseil est peut-être un des moyens de faire taire les suspicions, tout comme une définition très stricte du champ d’application du concept de responsabilité de protéger.
L’écrivain kényen, Ngugi wa Thiong’o, a regretté que le rapport du Secrétaire général n’aille pas assez loin. Ce qu’il faut, a-t-il dit, ce sont des solutions à long terme pour éliminer les causes des éventuelles interventions que sont les inégalités et les déséquilibres socioéconomiques.