Opinion – Mobilités du « porte-à-porte » : pour une croissance partagée par Carole Delga, présidente de la région Occitanie.
A contrario des idées reçues et du climat ambiant, une large majorité de nos concitoyens
(63%) est satisfaite des politiques de transports en commun. C’est ce qu’a révélé l’enquête
2018 de l’Observatoire de la vie quotidienne des Français sur les mobilités. Et pourtant, ils
sont 80% à privilégier leur voiture pour se déplacer, le plus souvent seuls (taux d’occupation
de 1,06).
Alors que les contrats de concession autoroutière arriveront à échéance à l’horizon 2030,
l’Etat doit réfléchir à une nouvelle utilisation des recettes, notamment en faveur des
transports collectifs.
Il revient à l’Etat et aux collectivités territoriales de mieux prendre en compte ce paradoxe et
d’apporter des solutions. Comment ? En offrant aux Français un service plus efficient et plus
accessible, une mobilité du « porte-à-porte » ou, dans un jargon plus technocratique, une
meilleure intermodalité. L’intermodalité existait déjà au XIXe siècle : les gens passaient dans leur périple du train au
bateau pour traverser la Manche ou la Méditerranée. Aujourd’hui, l’enjeu est de franchir la
voie rapide qui sépare la gare des arrêts de bus, passer de sa voiture ou de son vélo au
TER, ne pas être confronté à des titres de transport, des tarifs et des interlocuteurs multiples
pour le bus, le tram, le train, etc.
En bref, éviter un parcours du combattant pour l’usager ; ce qui oblige en premier lieu les
opérateurs, SNCF en tête, à travailler à plus de fiabilité et de ponctualité. Mais ça ne s’arrête
pas là.
Je suis convaincue que l’intermodalité doit être le premier enjeu de la future loi d’orientation
des mobilités en cours d’élaboration ; parce qu’elle recouvre l’ensemble de la chaîne de
déplacements.
Cela suppose, d’abord, que soit inscrite dans cette loi une politique plus ambitieuse en
faveur de l’entretien des réseaux et de la réalisation des grandes infrastructures qui
manquent à notre pays. L’Histoire nous enseigne que les épisodes de prospérité ont tous été
précédés d’améliorations importantes des voies de communication. Dès -118 avant JC,
l’édification de la Via Domitia fut la source d’un développement local bénéfique à toute une
région d’alors, aujourd’hui l’Occitanie.
Alors que les contrats de concession autoroutière arriveront à échéance à l’horizon 2030,
l’Etat doit réfléchir à une nouvelle utilisation des recettes, notamment en faveur des
transports collectifs. C’est une opportunité de mieux prendre en compte, et donc de financer,
les réseaux périurbains avec, par exemple, des voies routières prioritaires ou réservées pour
les transports en commun, le co-voiturage ou, demain, les véhicules autonomes.
Le réseau national non concédé, en partie dégradé, comme les grands axes d’entrée, de
sortie et d’évitement des villes, aujourd’hui engorgés, pourraient être repris en maitrise
d’ouvrage par les Régions, en cohérence avec leur rôle d’autorité organisatrice des
transports interurbains. Cette nouvelle compétence Réseaux s’inscrirait dans un grand plan
routier d’intérêt régional, qui ferait du lien entre les territoires urbains et ruraux une priorité du
texte de loi. Quant aux Départements, ils doivent être mieux soutenus dans la modernisation
des routes dites secondaires, véritable maillage indispensable pour l’unité de notre pays.
De la même manière, se pose le cas de l’avenir des lignes ferroviaires délaissées que les
Régions pourraient, pour certaines, récupérer en gestion directe, à condition qu’elles soient
régénérées, ou encore des gares TER souvent sous-exploitées qui ont vocation à devenir à
la fois des Pôles d’échanges multimodaux et des maisons de services aux publics.
Ainsi, le « mille-feuille » des maîtres d’ouvrage serait simplifié et la nouvelle organisation
serait cohérente pour une pleine efficience des mobilités.
L’ensemble de ces investissements est tout à fait soutenable tout en maîtrisant la dépense
publique. La hausse décidée par le gouvernement du prix du gasoil et son alignement d’ici
2021 sur le prix de l’essence vont engendrer d’importantes recettes fiscales. Une partie doit
être réinjectée dans les politiques de mobilité, conditions essentielles à la croissance. Et
sans des infrastructures de qualité, il ne peut y avoir d’intermodalité.
Un chef de file pour les mobilités doit être prévu dans la future loi et la collectivité régionale
peut l’assumer avec compétence et opérationnalité.
Ces ambitions en matière de réseaux doivent s’accompagner d’une meilleure organisation
des services de transports. Alors que près de 80% de nos territoires, essentiellement dans la
ruralité, ne sont couverts par aucune autorité organisatrice, il n’est pas concevable de laisser
sur le quai ou au bord de la route près de 20 millions de Français.
Un chef de file pour les mobilités doit être prévu dans la future loi et la collectivité régionale
peut l’assumer avec compétence et opérationnalité. La Région deviendrait alors Autorité
Organisatrice des Mobilités sur l’ensemble des réseaux, urbains comme interurbains, sur le
modèle des transports en Ile-de-France, avec une révision des modes de financements.
Cette responsabilité doit également concerner le fret.
La politique, c’est répondre aux besoins de la cité : c’est ainsi que nous devons bâtir
l’organisation des mobilités en France et non en fonction des prés carrés des uns et des
autres. De la sorte, nous apportons des solutions concrètes aux phénomènes
d’engorgement urbain, insupportables pour la qualité de vie au sens large (durée des trajets,
insécurité routière, conséquences environnementales, etc.).
La future loi devra aussi permettre une meilleure utilisation et une meilleure protection des
données (Data) des usagers. Elle confierait aux Régions le rôle d’architecte du système
d’information multimodale, jusqu’à la distribution des titres de transport.
Enfin, alors que se tiennent actuellement les Assises du transport aérien, je porte l’idée de
donner aux Régions la mission d’adapter et de coordonner l’ouverture des lignes relevant
des Obligations de Service Public pour les territoires les plus enclavés.
En 2018, la France a rendez-vous avec l’avenir de ses transports. Les enjeux sont sociaux,
écologiques, démographiques, économiques, mais aussi politiques. Moins on est desservi
par les transports en commun, plus le sentiment de déclassement est fort et plus
l’expression d’un vote populiste est grande. Bâtir la République des Territoires est une
urgence démocratique ; elle sera le vecteur d’une croissance mieux partagée entre les
citoyens.
Aussi, j’appelle à ce que cette future loi des mobilités inscrive, dans son article premier,
l’intermodalité comme un droit et fasse ainsi de la mobilité du « porte-à-porte » une
orientation profonde et durable du XXIè
siècle.