Lorsqu’on arrive Salle Jean Mermoz, on aperçoit toujours une fourmilière d’avocats, des CRS, des journalistes, mais surtout des centaines de « parties civiles ». Souvent le visage grave, les victimes de l’explosion de l’usine AZF, reconnaissables aux badges jaunes sont affectées autant psychologiquement que physiquement. Rencontre avec une des victimes, ancien professeur au Mirail.
Depuis la catastrophe plusieurs agents et enseignants de lycées et universités proche de l’usine, ne peuvent plus exercer leur métier. « Je n’enseigne plus depuis le 21 septembre 2001 » se confie Monsieur B .« Ce jour-là, au Mirail j’étais au toilettes quand soudain le plafond s’est littéralement écrasé sur moi. »
Dans son malheur, l’enseignant en fiscalité dit « avoir eu de la chance ». Il a pu être hélitreuillé à temps et soigné à l’hôpital de Purpan.
Mais après 40 jours de coma, celui qui instruisait perd la parole.Victime d’un traumatisme crânien, Monsieur B. a du tout réapprendre. Tous les gestes les plus simples. « J’ai appris à reparler en 2005 et je ne peux lire et écrire que depuis quelques mois. » « Un comble pour un enseignant », sourit-il. Derrière cette attitude assez souple se cache l’exaspération et la fatigue d’un procès interminable. « La vérité est dissimulée. Jamais nous la connaîtrons » soupire l’homme âgé de 57 ans.
La vérité, première victime du feuilleton AZF ?
Malgré l’absence de nombreux avocats de la défense et des parties civiles. Les plaidoiries se suivent et se ressemblent. « Je ne peux faire que la synthèse de la synthèse » a même averti une avocate. Principale accusation : la défense ment. « Leur stratégie repose sur la logique du déni, le déni des responsabilités, de la réalité auquel elle préfèrerait substituer le virtuel. » Coup pour coup, Me Weyl, avocat du Snes Fsu syndicat des enseignants dénonce les méthodes de ses confrères. « Ils ont violé le principe de non contradiction. Cela tenait du tour de passe passe, de prestidigitateur. Leur propos s’appuyait sur de la pseudo-compétence. Ils n’étaient ni respectueux du contradictoire, ni loyaux. Ils ont menti par omission ».
Pour ce qui est de l’explication de l’explosion qui a tué 31 personnes et en a blessé des milliers, les avocats des parties civiles restent sur leur position. « La cause essentielle des morts et des blessures, c’est bien l’explosion chimique. C’était une poudrière exposée à toutes les étincelles » ajoute Frédéric Weyl.
Maître Denis Dreyfus, pour l’association des Victimes des accidents collectifs, (association que l’on retrouve dans les grandes catastrophes) est convaincu que la cour condamnera « l’abstention, la bêtise, l’incompétence, l’absence de formation des hommes, la rentabilité souvent privilégiée ». « Tout cela tue ». Pour ce talentueux orateur, il serait insupportable d’entendre que la catastrophe, résulte d’une malchance ou de la fatalité. Denis Dreyfus a évoqué des cataclysmes pour lesquels « il a fallu se battre pour la vérité ». Se battre contre EDF-GDF dans l’affaire de la noyade de six enfants, suite à un lâcher d’eau dans le Drach, près de Grenoble. Se battre dans l’affaire du tunnel du Mont-Blanc. Il évoque encore l’incendie dans un centre équestre tuant plusieurs adolescents, l’effondrement de la passerelle du Queen Mary ou bien encore les passagers d’un vol Rio-Paris, il y a vingt jours.
« Peut-être les victimes verront se lever, au travers du panache d’un nuage jaune, une petite lueur d’espoir… » conclut-il.Quant à Monsieur B., il s’en est allé emmenant avec lui son espoir de vérité. « Bon courage » a-t-il soufflé, comme si c’était bien à lui qu’il parlait.
Oïhana Igos